6 heures de train… voila qui me laisse largement le temps de tenter d’écrire un petit texte de chanson. Oui, mais j’ai aussi un article à écrire, moi, cette semaine. Et pourtant j’ai plutôt l’envie d’écrire une chanson…
Je vous propose de faire d’une pierre deux coups et de vous montrer la manière dont je m’y prends (parfois) pour écrire les textes de mes chansons.
Le point de départ
Tout d’abord il nous faut un élément de départ, une idée, une phrase, un thème. Je décide de partir d’une expression que j’affectionne particulièrement parce que (parfois) elle me va comme un gant. Cette expression c’est « Se noyer dans un verre d’eau » et elle résume parfaitement ce que je ressens (parfois) en situation de stress.
Nous allons donc faire une chanson qui parle de stress. Mais, qui en parle de manière imagée. Il ne s’agit pas de rédiger un rapport à l’inspection du travail ! Disons qu’on pourrait imaginer quelqu’un qui raconte sa difficulté à gérer son stress, mais sans employer le terme de stress ou les mots qui s’y rapportent.
Le champs lexical
Comment faire, allez vous me dire ? Eh bien nous allons simplement nous choisir un autre vocabulaire. Je vais commencer par déterminer les éléments lexicaux de mon texte. Je choisis tout d’abord de travailler sur le thème de l’eau et de la noyade puisque mon idée de départ m’y conduit tout naturellement. Je note tous les mots associés qui me passent par la tête, je laisse les associations d’idées se faire librement. Je m’aide d’ordinaire un dictionnaire des synonymes mais dans mon wagon de TGV, je n’en ai pas sous la main. Très bon exercice de mémoire et d’imagination…
Nous disions « Eau » et « noyade », ça me fait penser à : mer, mouiller, mouillé, couler, dégouliner, liquide, flaque, goutte, pluie, piscine, minérale, carafe, plonger, noyer, nager, sombrer, flotter, boire la tasse, apnée, plonger, étouffer, sauveteur, maître-nageur, prendre l’eau, bikini (pas facile à placer celui-là), immersion, naufrage, brasse, vague, tourbillon, abordage, …
J’ai à présent pas mal d’éléments pour ma chanson. Je vais commencer à les rassembler sans y mettre vraiment d’ordre pour le moment. Je vais construire des expressions plus longues, des morceaux de phrases autour de mon thème du stress et avec les mots que j’ai identifiés : se noyer dans un verre d’eau, être en carafe, noyer le poisson, piscine à débordement, la goutte qui fait déborder le vase, avoir la tête sous l’eau, nager sous la surface, être en apnée, trop plein qui déborde, …
Le premier jet
A présent, je commence à avoir des idées de plus en plus précises qui se forment dans ma tête. Je ne sais pas pour vous, mais chez moi, c’est flagrant. C’est comme si cette étude préliminaire et ces contraintes imposées avaient agit de manière incantatoire pour faire surgir l’inspiration.
Elle est là qui me tend les bras. Laissons la s’exprimer…
Ça vous surprend comme un naufrage Une vague à l’âme sur la plage C’est pas simple, mettez vous à ma place De nager juste sous la surface Je vis en apnée sous les dossiers J’ai même commencé à sombrer C’est comme un trop plein d’émotion J’ai bien essayé de noyer le poisson Faut dire que j’avais pas vu l’aileron Je suis larguée par mes amarres A la dérive et loin du phare Je me perds dans un tourbillon Bien loin de la ligne de flottaison Je suis perdue dans le siphon Ça coule de source, je suis en carafe C’est clair comme une épitaphe Qui sonne, qui crie, qui claque : « Ci gît une goutte au fond d’une flaque » Je garde toujours la tête sous l’eau Je me prends pour un cachalot Je ne nage jamais sur le dos Je suis trempée jusqu’aux os J’ai les dents comme des grelots J’éclate en sanglot Parce que je me noie dans un verre d’eauEh bien voila. C’est un peu brut, un peu déstructuré, c’est parfait pour un premier jet.
La mise en forme
Maintenant, appliquons le principe du couteau de boucher que je vous ai enseigné il y a pas mal de temps : raccourcissons, découpons, égalisons, arrondissons les angles…
Ça commence dans un tintamarre Je me fais larguer par mes amarres Sabordée, coulée comme une pierre Avec l’envie de tout foutre en mer C’est comme un trop plein d’émotion J’ai écopé de dix ans de mousson J’ai bien essayé de noyer le poisson C’est juste que j’avais pas vu l’aileron Si je garde toujours la tête sous l’eau Si je me prends pour un cachalot Si je ne nage jamais sur le dos Je pourrais me noyer dans un verre d’eau Je passe de la brasse au papillon Bien en dessous de ma ligne de flottaison Je me perds dans un tourbillon La tête première dans le siphon Çà coule de source, je suis en carafe C’est limpide comme une épitaphe Qui crie comme un drapeau qui claque : « Ci-gît une goutte au fond d’une flaque » Si je suis trempée jusqu’aux os Si j’ai les dents comme des grelots Si j’éclate soudain en sanglot Je pourrais me noyer dans un verre d’eau Je rêve d’un pirate ou d’un sauveur D’un prince ou d’un maître-nageur Qu’ aurait le cran de se jeter à l’eau Pour m’aider à vaincre les flots Si j’en fais bien sûr un peu trop Si j’emploie toujours de grands mots Si je suffoque sur le dos Alors sauve-moi de mon verre d’eauVoila. Je n’ai pas mis 6 heures à écrire ce texte (je vous rassure) et ce n’est certainement pas le meilleur que j’ai écrit. Il mériterait d’être encore retravaillé. Mais tout de même, pour des mots attrapés au vol entre deux cahots sur les rails et trois « Mesdames et messieurs, nous vous informons qu’un bar se trouve en voiture 14 de ce train », je ne suis pas trop mécontente du résultat. Si je voulais être vraiment sévère dans mon rôle de bouchère de texte, je ne conserverais que très peu de chose, mais je garderais quand même « Ci-gît une goutte au fond d’une flaque » et « l’envie de tout foutre en mer » qui me plaisent beaucoup.
Vous avez compris le principe ?
Qui s’y colle à présent ?
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L’apprentissage tel qu’on le définit de manière générale ne fait pas toujours tout. Ainsi, paradoxalement, lorsqu’on apprend à nager, nous ne faisons finalement que redécouvrir un ancien « savoir » puisque notre milieu premier (sur terre) est l’élément liquide.
C’est pour cela que certains d’entre nous ont effectivement besoin d’un « sauveur » (plus que d’un sauveteur…) pour se reconnecter à leurs « savoirs » fondamentaux.
Et, d’une manière également paradoxale, sans les autres (parfois sauveteurs mais pas que…), nous ne pouvons avancer correctement. Donc, l’idéal reste d’avoir joie et grande liesse de nager tous ensemble dans un verre d’eau sachant que nous sommes à la fois nageurs, sauveteurs et également sauveurs de par notre connexion naturelle à l’univers….. 🙂
… Le tout, pour moi, étant de savoir si c’est d’un « sauveur » ou bien d’un « sauveteur » dont il est question….. parce qu’ au final, le résultat de l’attente ne sera pas forcément celui recherché. Remarque qu’on peut aussi bénéficier des deux mais cela demande beaucoup d’abandon de son mental ! 😀
Bonjour Philou… ta remarque me fait douter de l’efficacité de mon jeu de mot entre sauveur et sauveteur. Soit le jeu de mot marche très très bien et tu l’as noté, soit il ne marche pas du tout et tu l’as relevé hihi.
Pour répondre à la deuxième partie de ton commentaire : l’idéal reste de n’avoir besoin ni de l’un ni de l’autre et d’apprendre à « nager dans un verre d’eau » 😉